UN CAVALIER QUI SURGIT HORS DE LA NUIT
Un héros comme on n'osait
plus en rêver: noble et fier, pudique et romantique, sachant
tuer, sachant protéger, le coeur pur et la tête
dure. Un inconnu qui va crever l'écran : c'est Olivier
Martinez dans le rôle d'Angelo Pardi, le "Hussard
sur le toit" de Jean Giono, porté à l'écran
par Jean-Paul Rappeneau, avec Juliette Binoche dans le rôle
de Pauline de Théus.
BABEL FISH
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Reportage Exclusif - Sophie Cherer
C'est mon premier tournage. J'ai
pris un tain de nuit qui doit arriver à Aix-en-Provence,
via Marseille, à 7 h 15, lundi 16 mai, premier jour des
cent soixante-sept que doit durer Ie tournage du Hussard sur
le toit. A l'heure du réveil, le train est arrêté
en rase campagne, sans un bruit. Je me souviens du récit
fait par Jean Giono de la naissance du personnage d'Angelo dans
son esprit. C'était à Marseille, il marchait les
rues, la nuit, il intendait passer des trains qui cliquetaient
comme des sabres, et il vit tout à coup s'avancer vers
lui un épi d'or sur un cheval noir, un hussard, un héros,
et le fils qu'il aurait rêvé d'avoir ...
Pas d'annonce au haut-parleur,
aucune explication, un demi-jour naissant accablé de brume
solaire qui rend le silence encore plus inquiétant. Les
têtes se penchent péricolosement au-dehors. On commence
à parler d'accident. Après plus de trois heures
d'angoisse et de curiosité inassouvie, le train redémarre
et longe une locomotive arrêtée en gare d'Arles,
où sont encore collés les restes d'un cadavre.
Suicide à l'aurore sous un
ciel bas, le corps d'un homme mort marque la frontière
entre le reste du monde et cette Provence de tragédie,
dont Jean Giono fut le chantre. La frontière aussi, pour
moi, ce matin, entre la réalité et la fiction.
Au cinéma, on maquille des vivants en morts, à
coups de pinceaux, à coups de postiches, à coups
de talent de conteur. Aux chemins de fer français, on
déguisera jusqu'au bout, jusque sur les panneaux d'affichage
de la ville-terminus, le suicide de quelqu'un en accident de
personne >. La devise est commune aux deux faces du mensonge
- 7e art, SNCF : "" C'est possible ,
Possible n'est pourtant pas le
premier qualificatif qui vient à l'esprit quand on son
ge à une éventuelle adaptation du roman Ie plus
populaire de Jean Giono. Dès sa paru tion, en 1951, il
avait bien suscité des convoi tises et provoqué
des tentations chez lc, hommes de cinéma, sans parler
de Giono lu i même qui entretenait avec le 7e art des rap
ports de fascination-répulsion bien légitime, (cf.
encadré). Mais ce livre est de ceux done on se dit "ça
ferait un film formidable" sans savoir par quel bout le
prendre. C'était depuis longtemps un des livres de chevet
de Jean Paul Rappeneau, et, au moment du triomphe (le Cyrano...,
en 1990, quand le magazine Glamour avait demandé au metteur
en scé ne de réunir sur une page tout ce qu'il
pré férait, il avait choisi une photo de maison
une photo de sa femme à cinq ans sur un( plage et, parmi
quelques objets fétiches, trois romans : Le Rivage des
Syrtes, de julien Gracq l Belle du Seigneur. d'Albert Cohen et
le Hus sard sur is plus que ça.
Giono', s'était pourtant
attelé, quelque temps plus tard, à une adaptation
d'un de ces trois livres. Mais c'était le mythique Belle
du Seigneur dont les droits cinématographiques, détenus
depuis la parution du roman en juin 1968 par les frères
Hakim, célèbres producteurs du cinéma fran
çais, étaient en cours de négociations avec
René Cleitman, producteur de Cyrano deBer gerac et aujourd'hui
du Hussard. Or, Belle du Seigneur a beau être ce chef-d'oeuvre
unani mement reconnu, c'est aussi l'histoire d'unechute et d'une
descente aux enfers, d'une dégradation, une histoire noire
et désespérée, et certes pas le meilleur
moyen pour un homme comme Rappeneau, amoureux du panache et du
mouvement, de poursuivre une oeuvre jusqu'à présent
très cohérente.
Mais le hasard fait bien les
chows. Un jour, alors que Rappeneau travaillait à un autre
sujet avec Pascal Quignard, le scénariste fêté
de Tous les Matins du monde, il apprend par Alain Delon qu'Edouard
Niermans, le réalisateur du Retour de Casanova, vient
d'abandonner son projet d'adaptation du Hussard sur le toit.
Rappeneau se sent comme un homme amoureux mais digne c°t
résigné à qui on révèle soudain
que la femme qu'il aime en secret vient do divorcer. II relit
le livre d'une traite, se met à rêver, puis se met
à foncer. Il sait qu'il a carte blanche depuis le succès
de son Çyrano. Il peut tout demander à son producteur
: les histoires les plus folles, les interprètes les plus
rares, les décors les plus chers, les délais les
plus longs. Et c'est ce qu'il fait.
Il faut commencer par bousculer
le roman. Le Hussard... est le contraire de Çyrano dont
le texte comporte une dramaturgie serrée mais pas d'images.
Le roman de Giono fourmille d'images-dans tons les sens du terme
: métaphores et tableaux -, mais chi point de vue dramaturgique,
il est lâche, étiré, bien plus contemplatif
que bourré d'action. Et c'est peu de dire qu'il manque
parfois de clarté : ellipses, répétitions,
ironie constante... tout concourt à rendre impossible
une adaptation fidèle .
Le Hussard sur le toit est un
roman d'aventure dont les plus belles péripéties
sont des méditations farouches et des monologues intérieurs.
Et c'est une histoire d'amour dont les deux protagonistes se
rencontrent pour la première fois à la page 179
<et se perdront de vue à plusieurs reprises par la
suite). Un roman contemplatif et platonique qui commence par
dérouter bon nombre de lecteurs non avertis mais finit
par enchanter les plus patients. Alors, avec l'aide de Nina Compaineez,
une femme à poigne et une perfectionniste rapide, comme
il les aime, Rappaneau se met au travail. "Il a trouvé
plus emmerdeuse que lui-, . jubile-t-elle. Pendant trois mois,
en Provence, îles écrivent et discutent ensemble,
comme deux cancres qui en préparent une biers bonne.
" Le soir, raconte Nina
Companeez, on entendait dans le jardin une cigale qui nous faisait
chier. Jean-Paul se levait et il allait dire à la cigale
: "Ta gueule!" Et elle se taisait pendant un quart
d'heure." Its suppriment des personnages, en ajoutent d'autres,
avancent d'une bonne centaine de pages la rencontre Pauline-Angelo,
expliquent la fuite du hussard par un commando d'Autrichiens
tueurs lancés à sa recherche, pimentent leur écran
intérieur de bagarres spectaculaires. Nina Companeez.
moins pudique que Rappenau pour ce qui concerne les chores de
la mort, le pours se à rajouter, dans cette waste fresque
des ravages de la maladie, un petit charmer parci, un petit bûcher
par-là. Après tout, c'est du cinéma, et
non une occasion de faire son malin en la ramenant à propos
de la Bosnie, de la Somalie, des camps de la mort ou de je ne
sais quoi. Leur adaptation bouclée, ils appellent Jean-Claude
Carrière à la rescousse pour trousser les dialogues,
et le tour est joué. Il s'est passé un an et demi.
Le spectacle pent commencer. Le film sera tourné du 16
mai au 29 octobre à travers toute la Provence, et la plupart
du temps en extérieurs, tans la symphonic de la nature
est un des personnages principaux de tour les livres de Giono.
CONTINUED